« Une journée de formation peut vraiment avoir un impact direct et immédiat sur la vie de nombreuses femmes. » Agnès Giannotti, médecin généraliste, parle de la formation donnée par Elle’s Imagine’nt et de ce qu’elle y a appris.

 Médecin violences conjugalesLes médecins généralistes se forment aux violences conjugales

À l’issue d’une journée de formation sur les violences conjugales, initiée par les coordinatrices des ASV parisiens et animée, en partie, par Elle’s Imagine’nt, Agnès Giannotti, médecin généraliste, revient sur cet événement.

Pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Agnès Giannotti et je suis installée depuis 1990 comme médecin généraliste dans le quartier de la Goutte d’Or à Paris. Je suis particulièrement impliquée dans les associations puisque je suis bénévole à l’URACA, association qui s’occupe de santé dans les communautés africaines. Mon sujet de prédilection est l’interculturel en santé, ou comment prendre en compte les représentations de la maladie et du soin des patients issus d’autres cultures afin de trouver un langage et une compréhension commune entre le soignant et le soigné.

Depuis 2007, nous avons également installé et porté l’Atelier Santé Ville du 18° arrondissement. Avant cette journée, je n’avais jamais eu l’occasion de travailler sur la question des femmes victimes de violences, n’en ressentant pas le besoin, car peu de demandes m’étaient faites en ce sens. C’est à l’initiative des coordinatrices des ASV parisiens que j’ai co-organisé cette journée de formation.

Quelle était cette formation ?

Il s’agissait d’une formation en direction des médecins généralistes. La diversité des intervenants – médecins experts, psychologues, associatifs, philosophes – nous a permis d’appréhender, en une journée, la spécificité de la question des violences conjugales, ce qui visiblement nous avait échappé jusque-là.

Quel en était le but ?

Tout simplement une meilleure prise en compte de cette question dans notre activité. En effet, les médecins généralistes reçoivent la quasi-totalité de la population en consultation, donc, les femmes victimes passent dans nos cabinets, mais nous ne nous en apercevons pas.

Qu’avez-vous appris ?

Qu’il ne faut pas attendre qu’une femme nous en parle spontanément, mais qu’il faut directement et sans gène lui poser la question « Êtes-vous ou avez-vous été victime de violences conjugales ? », ce qui lui permet de répondre. Cela libère la parole.

C’est la clé et l’explication du fait que ces femmes restent en général invisibles : elles ne formulent jamais directement la demande et nous ne les repérons pas. Elles expriment plutôt un mal-être général, des douleurs chroniques et inexpliquées. Or, tant que nous n’identifions pas une problématique, impossible d’aider la personne à surmonter ses difficultés.

Le deuxième point, que j’ai perçu, est que le mode d’intervention que j’ai l’habitude d’utiliser, à savoir la médiation, outil de base dans l’abord interculturel, est là totalement inadapté puisque l’un des principes est de ne pas mettre en présence la victime et l’agresseur, or j’aurais fait le contraire.

J’ai également pris conscience que les psychothérapies classiques d’inspiration psychanalytique sont, elles aussi, au moins dans un premier temps, hors de propos. En effet, il faut d’abord que la femme cesse de se justifier et de s’estimer coupable, et qu’elle soit reconnue et se reconnaisse comme victime. La question n’est donc pas, à ce moment-là de la prise en charge, « Qu’est-ce qui explique dans votre histoire que vous vous retrouviez dans cette situation ? », mais « Aujourd’hui comment vous aider pour que vous avanciez ? Que souhaitez-vous ? »

Les mécanismes, d’emprise psychologique, la physiologie du stress post-traumatique m’ont également beaucoup éclairée pour comprendre à quel point il est compliqué pour les femmes de s’extraire des pièges dans lesquels elles sont prisonnières.

Une particularité de notre mode d’exercice est que nous recevons en général toute la famille. Alors que faire si monsieur vient nous voir pour une grippe ? Auparavant, j’aurais été tentée d’aborder la question avec lui. Là, j’ai compris que c’était contre-productif. Si je prends en charge la femme, quand monsieur vient, je m’occupe de sa grippe et puis c’est tout.

Une notion également que je n’avais pas du tout est que le contexte de la grossesse est souvent un moment de déclenchement ou d’aggravation des violences. Or c’est contraire au schéma social qui considère que la grossesse est un moment heureux. Sortir des clichés est impératif pour nous tous.

De plus, un élément n’était pas évident : accepter de laisser le temps aux femmes. Les parcours sont souvent lents, difficiles, avec des hésitations, des retours en arrière. Il faut donc que les professionnels apprennent à suivre le rythme de chaque femme, et les accompagnent sans se demander à chaque instant : « Mais pourquoi ne quitte-t-elle pas cet homme ? »

J’ai pris conscience que ces prises en charge demandaient de collaborer avec d’autres professionnels et d’autres structures d’appui. En effet, les parcours sont complexes, et il faut y inclure les questions juridiques, celles de l’hébergement, des problèmes matériels, de la peur, des pressions de l’entourage, etc.

Qu’avez-vous déjà mis en application dans votre quotidien de médecin ?

Dès le lendemain, j’ai commencé à poser la question au cours des consultations quand cela m’a semblé approprié, et dès le premier jour, quatre femmes ont pu me parler des violences présentes ou anciennes dont elles avaient été victimes.

Des histoires impressionnantes dont je n’aurais pas eu vent si elles étaient venues me trouver le vendredi d’avant et non le lundi d’après… Le soir en rentrant, j’étais abasourdie, combien de femmes aurais-je pu épauler depuis 25 ans ?

Une journée de formation peut vraiment faire évoluer une pratique professionnelle et avoir un impact direct et immédiat sur la vie de nombreuses femmes. Depuis ce jour, à chaque fois qu’une femme a réussi à parler, et il y en a déjà eu un certain nombre, elles sont sorties de mon bureau soulagées et souvent souriantes (une fois les larmes essuyées). Je pense que dans de nombreux cas la libération d’une parole jamais dite suffit à les faire progresser.

Avez-vous des projets ?

Je ne suis qu’au début de la démarche, mais le changement sur le plan du repérage est évident.

Maintenant, j’ai identifié les structures partenaires qui étaient présentes à la formation, mais qui ne sont pas dans mon arrondissement. Je vais donc poursuivre ma démarche dans deux directions : en proposant aux membres de mon pôle de santé (nous étions 7 médecins à la formation) de continuer à travailler sur cette question pour progresser ensemble, mais également en m’appuyant sur l’ASV Paris 18, pour mettre en lien les médecins du pôle et les acteurs du 18e que nous ne connaissons absolument pas.

Je me questionne aussi sur la pertinence de travailler cette question avec les kinésithérapeutes car l’expression du mal-être s’exprimant souvent dans le corps, j’ai le sentiment que cet abord pourrait nous être très utile, mais je dois dire que je ne me suis posé la question que récemment, donc, je n’ai pas encore de réponse.

D’ores et déjà, toutes les personnes présentes à la formation, participants comme formateurs, ont commencé à former un réseau informel en échangeant par mails, et au moins la moitié des médecins ont fait part des évolutions effectives de leurs pratiques.

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