Depuis la naissance de leur premier enfant, Paul est violent avec sa femme Emma. Les sœurs d’Emma lui répètent constamment qu’elle devrait porter plainte, mais elle ne s’y résout pas. Pourquoi ? À quoi sert la plainte ?

plainte-police2Porter plainte devrait être un réflexe quand on est victime d’une agression.

FAUX. Porter plainte contre son conjoint, et éventuellement le père de ses enfants, est très difficile. Il ne s’agit pas de porter plainte contre un inconnu, mais contre la personne qui partage son lieu de vie, son intimité ; la personne que l’on a choisie pour construire une histoire, source de sentiments… passés ou toujours bien présents ; une personne à laquelle l’on est liée par des enfants ou un patrimoine commun ; une personne dont on peut être économiquement dépendante ou au contraire qui est à charge.

Les engagements de la femme envers son conjoint peuvent être légaux, moraux et familiaux. La victime se retrouve alors tiraillée entre la nécessité d’être en sécurité, respectée et lesdits engagements. En effet, les auteurs n’hésitent pas à semer le trouble en leur faisant porter la responsabilité de leurs actes : «  Si tu m’écoutais, je ne serais pas obligé d’en passer par là… Nous formons un couple et tu dois faire des efforts ! »

Par ailleurs, l’homme violent anticipe le fait que sa victime puisse tenter une démarche vers les services de police. Alors il menace : «  si tu portes plainte, personne ne te croira. Tu perdras tout : les enfants, l’appartement et tu finiras en foyer ! »

Il ne faut pas prendre pour argent comptant tout ce que dit l’homme violent.

VRAI, mais cela reste théorique.

Les violences conjugales interviennent dans un contexte où l’auteur a pris le temps d’installer dans son couple un système de domination que l’on appelle l’emprise.

Il isole la victime et cherche constamment à l’intimider pour la garder sous sa coupe. Ainsi, il l’empêche de parler et de faire des démarches pour sortir de la violence.

Dans ce fonctionnement, la victime n’a plus de libre arbitre et le conjoint violent a redéfini les règles familiales à son profit.

Porter plainte est la seule solution pour s’en sortir…

FAUX. Porter plainte n’est pas un passage obligé, même si c’est une étape fortement conseillée.

Un dépôt de plainte est une épreuve en soi qu’il ne faut pas minimiser, mais au contraire préparer. L’accueil dans les commissariats reste inégal : certains policiers, très bien formés à la lutte contre les violences conjugales, écoutent et assistent les victimes, d’autres en revanche peuvent les décourager.

Même lorsque les femmes sont décidées, elles se heurtent parfois à des refus de prendre leur plainte. La main courante leur est souvent proposée comme alternative, ce qui n’a pas du tout les mêmes conséquences légales.

Toutefois, la plainte est le moyen d’être reconnu comme victime et de demander réparation. Elle permet, s’il elle aboutit, de se reconstruire plus facilement.

Le mieux est de porter plainte le plus tôt possible.

VRAI, mais complexe. Essayez d’imaginer ce que signifie : continuer à vivre à côté de son agresseur après avoir déposé plainte contre lui. Certaines femmes arrivent à prendre cette décision malgré un contexte difficile, quand la plupart préféreront attendre d’avoir un lieu sécure.

De plus, lorsque la femme a des enfants, elle craint de quitter le domicile en catastrophe, sans savoir où aller.

Pour ces raisons, nous encourageons la femme, si la situation le permet, à anticiper la suite des événements et à porter plainte lorsqu’elle se sent prête à partir, qu’elle a organisé son départ : travail, nouvel appartement…

Cependant, le danger, la violence et l’urgence font que ce cas de figure n’est pas toujours possible.

Je répète sans cesse à ma sœur d’aller porter plainte, mais visiblement ça ne sert à rien…

FAUX. Nous savons combien il peut être épuisant de soutenir une victime qui n’arrive pas à réagir. Pour autant, elle subit déjà beaucoup d’injonctions dans son couple. Lui dire systématiquement ce qu’elle devrait faire ajoute des ordres à une liste déjà longue.

La meilleure stratégie : l’écoute et le soutien. Face aux violences conjugales, au lieu d’inciter la victime de porter plainte, mieux vaut mettre le focus sur les actes de l’auteur, les désigner comme violents et rappeler que c’est interdit, dangereux. Il faut lui expliquer que des lois et des dispositifs existent pour la protéger, que ses amis, ses proches sont là pour la soutenir dans sa démarche.

Il est aussi très important de valoriser la victime en lui disant tout ce qu’elle fait de bien pour elle et ses enfants.

Étrange, ces femmes qui portent plainte pile au moment de la séparation. J’ai l’impression que c’est pour avoir l’appartement, la garde des enfants ou un titre de séjour.

FAUX. La victime est régulièrement suspectée d’inventer les violences pour servir ses intérêts.

Comme nous l’avons vu, il est difficile de porter plainte si l’on cohabite avec l’auteur des violences. Beaucoup de victimes ne s’engageront sur cette voie que lorsque leur sécurité – et celle de leurs enfants – sera assurée. Le moment de la séparation peut donc coïncider avec un dépôt de plainte sans qu’il n’y ait eu aucune démarche préalable. Cela semble logique et ne remet pas en cause la véracité de leurs propos.

Enfin, rappelons que les violences peuvent être prouvées par d’autres biais, notamment par des témoignages de l’entourage, des attestations de professionnels, des certificats médicaux…

De la même manière, les violences sur les enfants sont susceptibles d’émerger au moment du départ.

Les fausses allégations sont rares et ne doivent pas servir de paravent à la réalité des violences conjugales. Faut-il rappeler qu’elles touchent une femme sur dix et que le lien entre violences conjugales et maltraitance des enfants a largement été démontré ?

Si elle se décide à porter plainte, elle peut le faire à n’importe quel moment.

VRAI. Nous lui conseillons de se rapprocher d’associations spécialisées pour établir sa stratégie le plus tôt possible.

Les professionnelles l’aideront à préparer cette démarche, lui expliqueront les suites possibles et l’accompagneront dans la procédure. C’est un parcours difficile, mais qui peut être très réparateur lorsque la loi intervient pour la protéger.

Avec une équipe spécialisée à ses côtés, la victime se sentira plus forte et mettra tous les atouts de son côté.

Rappelons que le délai de prescription pour porter plainte contre un délit est de 3 ans.

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